UX et les neurosciences
Concevoir pour l’humain articule l’UX design. Pour cela il faut bien comprendre le fonctionnement cérébral et émotionnel de l’utilisateur. Mais ceci n’est pas chose aisée étant donné que le comportement humain s’effectue pour l’essentiel sans qu’on y pense, automatiquement. C’est la subconscience qui nous guide; la plus importante des fonctions mentales mais aussi la plus complexe à étudier. Heureusement, les neurosciences ont réussi à faire leur grande entrée dans le monde du design UX et de la conception de l’expérience. Appliquée au design, cette science permet de mieux éclairer les UX Designers sur le comportement des utilisateurs et leurs réactions, qu’elles soient spontanées ou réfléchies.
C’est quoi la neuroscience ?
Les neurosciences sont un champ disciplinaire qui concerne l’étude du fonctionnement du système nerveux. En effet, les neurosciences regroupent toutes les recherches scientifiques sur le système nerveux, c’est-à-dire le cerveau, la moelle épinière et les nerfs.
Les différentes branches d’études sont à l’origine de recherches variées, allant des aspects les plus élémentaires : moléculaires, cellulaires et synaptiques, jusqu’aux aspects les plus intégratifs, comme ceux qui portent sur les fonctions comportementales et cognitives.
Ainsi, les sciences cognitives et comportementales constituent un important champ d’études en neuroscience. Elles se définissent comme étant un ensemble de disciplines scientifiques visant à l’analyse et à la compréhension des mécanismes de la pensée humaine (bien qu’elle concerne aussi tout système cognitif, c’est-à-dire tout système complexe de traitement de l’information capable d’acquérir, de conserver et de transmettre des pensées et des connaissances, à l’instar de la pensée animale ou l’intelligence artificielle, mais ça c’est un autre sujet!).
La préservation de l’information dans le cerveau humain
Les neurosciences abordent de fait le processus de traitement et de conservation d’informations dans le cerveau humain. Ce champ de recherche appliqué au design se révèle très bénéfique pour mieux orienter l’UX et les choix de conception. De ce fait, chaque designer aguerri doit connaître de facto certaines caractéristiques du cerveau humain.
Dans le livre, 100 Things Every Designer Needs to Know About People, l’auteure Susan M. Weinschenk explique comment le cerveau humain préserve l’information de différentes manières, lorsque l’individu se trouve au contact d’une interface digitale.
Ce qui est expliqué, c’est que les yeux recevront des informations visuelles du site Web ou de l’application pour ainsi les transformer en impulsions électriques. Par la suite, l’ensemble des informations recueillies seront transmises plus loin par le nerf optique au centre du traitement visuel, scientifiquement connu sous le nom de lobe occipital. L’information passe ensuite dans le lobe pariétal, où il est séparé, défragmenté et analysé, sans pour autant acquérir aucune signification. En effet, la compréhension et l’attribution de signification ne se produit qu’une fois l’information passée dans le lobe frontal. Si l’information réussit à gagner du sens, elle sera alors stockée dans la mémoire à long terme.
Tout ce processus de la pensée humaine se produit très rapidement. Il est encore plus rapide et pertinent si l’information reçue et analysée peut gagner du sens grâce un cadre de référencement préexistant, en évoquant des souvenirs, ou des schémas de pensées récurrents, mais aussi et surtout les formes et les schémas.
Pour une meilleure UX : comprendre le traitement de l’information dans le cerveau
Tout ceci nous permet de dire que les UX designers se doivent de réduire la charge cognitive dans leurs conceptions, en privilégiant le recours à des schémas, des modèles et des formes clairs et reconnaissables. Ceci permet à l’utilisateur de ne pas décrocher de la navigation si elle est trop différente de ce qu’il est habitué à voir, ou si les éléments graphiques majeurs ne sont pas facilement identifiables.
En effet, le cerveau de l’Homme est doué pour reconnaître les modèles du monde extérieur. Ainsi, les humains identifient les objets en reconnaissant les modèles et les formes.
Etant donné que le cerveau humain est un organe paresseux car très consumant en énergie, le comportement de reconnaissance des formes aide les utilisateurs à travailler avec des éléments facilement et rapidement, avec de moindres efforts.
D’ailleurs, certaines recherches indiquent que l’humain n’identifie que les formes de base qui créent des éléments. Irving Biederman a eu l’idée des géons en 1985 (ce sont des formes simples bi-dimensionnelles ou tridimensionnelles tels que les cylindres, les briques, les cônes, les cercles ou les rectangles). Cette théorie de la reconnaissance compositionnelle suggère l’existence de 24 formes fondamentales que le cerveau reconnaît, et qui forment les éléments constitutifs de tous les objets que nous voyons et identifions.
La psychologie du design : vecteur d’optimisation UX
Le métabolisme énergétique du cerveau est très élevé par rapport à sa masse. En effet, on estime qu’il est responsable, à lui seul, d’environ 25 % de la consommation énergétique du corps, alors qu’il ne représente qu’environ 2 % de sa masse.
Ainsi, par parcimonie d’énergie, le cerveau se veut paresseux. C’est en quelque sorte un mécanisme de survie. Par conséquent, le cerveau utilise les raccourcis et la reconnaissance des modèles dans le traitement des situations, afin de réduire automatiquement la charge cognitive et l’utilisation de l’énergie. De la sorte, le cerveau identifie les items, les étiquettes… et les ignore jusqu’à ce qu’elles deviennent pertinentes à nouveau.
Le mécanisme de reconnaissance qu’utilise le cerveau et sa préférence pour les modèles et la prise de décision paresseuse peuvent faciliter la survie. Toutefois, cela rend la conception UX plus complexe voire difficile. Pourtant, quand les connaissances en neurosciences et en psychologie sont bien assimilées de la part des designers, ils seront en mesure de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain et donc de l’utilisateur. Des connaissances préalables en neurosciences et en psychologie apportent une plus-value importante à l’UX Design en élucidant les mécanismes de prise de décision des utilisateurs. De ce fait, l’exploitation de ces disciplines et l’application des neurosciences au design ne fera qu’améliorer les services et les produits conçus.
Les méthodes de recherches UX les plus basiques comme l’observation, les enquêtes et les interviews sont généralement couplées aux technologies de l’eye tracking par exemple pour offrir les meilleurs résultats en termes de compréhension de l’utilisateur.
L’approche empathique centrée sur l’utilisateur révèle à quel point les détails de design font une différence extrême dans l’efficience UX. C’est ainsi que les géants technologiques et les as de l’UX design se concentrent de plus en plus sur les neurosciences et les associent désormais aux méthodes de recherche UX traditionnelles.
Ceci sert à améliorer les conceptions UX et les parcours utilisateur en se basant sur des approches multi-disciplinaires.
La neuroscience et la psychologie au service de l’UX design
Le subconscient joue un rôle majeur dans la prise de décisions chez les utilisateurs. Il est désormais bien connu que l’on est commandé par des réflexions subconscientes et des jugements rapides. Dans quelle mesure ces informations issues de la neuroscience sont-elles bénéfiques en UX design ?
Il faut tout d’abord garder à l’esprit qu’en découvrant une nouvelle application ou un site web, il suffit de quelques millisecondes pour que le cerveau de l’utilisateur prenne des centaines de décisions subconscientes en activant des millions de neurones.
En moins d’un clin d’œil, la personne commencera à répondre à des questions jugeant votre interface et la pertinence de votre UX/UI du genre : Est-ce bien ce que je recherche ? Suis-je sur la bonne plateforme ? Ce site inspire-t-il le sérieux et la confiance ?
Ce concept a été appuyé dans l’étude intitulée “The role of visual complexity and prototypicality regarding first impression of websites: Working towards understanding aesthetic judgments” de l’expert UX et doctorant en psychologie cognitive Javier Bargas-Avila.
Il a déterminé que les internautes développent des réactions par rapport à l’esthétique d’une page web lors des premiers 17 à 50 millisecondes après y avoir été exposés.
Tout en considérant qu’un clignement d’œil prend 300 à 400 millisecondes, votre interface va prendre acte de son analyse, de son évaluation et son jugement, en moins d’un clignement d’œil. De ce fait, en tant que UX designer, il faut savoir miser sur la première impression, en captant l’utilisateur et lui passant les bons sentiments en l’espace de quelques millisecondes.
En effet, un utilisateur qui se retrouve face au chargement lent d’une page ou qui juge les éléments visuels qui chargent en premier comme non pertinents risque de quitter immédiatement le site, ne lui laissant aucune chance pour finir de charger.
Il existe bien évidemment des techniques phares en UX design, utilisant les neurosciences pour l’optimisation de l’expérience utilisateur et la rétention de trafic. On parle ici des modèles fast thinking / slow thinking.
Fast thinking/ slow thinking
Bien évidemment, ces impressions ne sont pas toujours définitives, mais elles impactent le comportement de l’utilisateur et peuvent porter le sort de votre service/produit.
Pour mieux mettre les choses en perspectives, il suffit de s’intéresser un minimum au système de prise de décision dans le cerveau humain. Dans le livre “Thinking, Fast and Slow”, du lauréat du prix Nobel Daniel Kahneman, le système de réflexion et de prise de décision est repensé en deux systèmes :
- 1er système; Fast Thinking ou pensée rapide : rapide, automatique, fréquent, émotionnel, stéréotypé, subconscient.
Le système 1 est réactif, responsable d’une cognition complexe mais des réactions directes, simples et instinctives. Ceci est palpable lors de la détermination de la distance entre les objets ou la détermination des réponses émotionnelles. Le cerveau, qui est paresseux de nature, utilise généralement la pensée du système 1 par défaut.
- 2ème système; pensée lente : lent, laborieux, logique, calculateur, conscient, peu fréquent.
La pensée du système 2 est analytique et s’applique à des scénarios plus complexes, comme la détermination du comportement social ou la comparaison de prix ou des caractéristiques de deux produits différents.
Comme abordé précédemment dans l’article, l’être humain a tendance à diminuer la charge cognitive en privilégiant la reconnaissance des modèles et des schémas. Ceci implique que le cerveau n’a pas tendance à traiter l’information ou à prendre de nouvelles décisions à chaque fois qu’il est confronté à un nouveau scénario. Ainsi, une grande partie de la prise de décision humaine tombe dans le système 1 du cerveau paresseux, ou ce qu’on peut aussi appelé la pensée rapide.
L’UX design et la neuroscience: le mariage parfait
Les experts et chercheurs UX passionés par la psychologie et des sciences cognitives ont su tirer parti des données précieuses sur le fonctionnement du cerveau humain. De la sorte, les neurosciences ont pu percer récemment dans la recherche UX, aidant les chercheurs et designers UX à comprendre ce qui stimule le « fast thinking » pour accrocher l’utilisateur aussi vite qu’un battement de cil. La neuroscience a su alors trouver son chemin dans le monde du design à travers les neurosciences comportementales, le design comportemental et la psychologie du design, etc.
Quelques techniques neuroscientifiques sont aussi devenues indispensables pour la recherche UX. En effet, les méthodes de recherches étudient l’attention et la perception avec des caméras de eye tracking. Les réponses émotionnelles peuvent être déterminées avec des capteurs cutanés ou l’analyse faciale. La réponse électrique peut être mesurée avec l’encéphalographie.
Aussi, les designers UX ont pu profiter des études issues de la neuroscience. C’est l’association des sciences neurologiques, comportementales et artistiques qui permet au concepteur comportemental de concevoir un environnement précis de manière à créer chez l’utilisateur des actions spécifiques et intentionnelles qu’il entreprendra par défaut.
La neuroscience permet également aux experts comportementalistes et spécialistes UX, de comprendre comment accrocher le cerveau de l’utilisateur (ou de le manipuler). L’expert en design comportemental Nir Eyal illustre dans son best-seller “HOOKED: What You Need to Know About Building Habit-Forming Products” comment il est possible pour les designers de créer des habitudes, ou « fabriquer le désir » avec son modèle du ‘’hameçon’’. Il est possible de guider les utilisateurs à travers une certaine séquence d’expériences à vivre, allant du déclencheur à l’action, à la récompense et à l’investissement. Nir Eyal aborde la façon qui permet de rendre l’utilisateur accroc à l’expérience de votre produit / service en fournissant à son cerveau des déclencheurs externes et internes à la fois.
On peut alors dire que les neurosciences sont un vecteur d’optimisation du design de l’expérience utilisateur.
Elles apprennent aux experts comportementalistes et spécialistes UX, à accrocher le cerveau de l’utilisateur, à exploiter sa subconscience, ses réactions et à reconnaître ses schémas mentaux et ses préférences
Conclusion
Pour certains designers, cela peut sembler impossible de capter l’intérêt de l’utilisateur et de transmettre des informations vitales plus vite qu’un clin d’œil. Heureusement, d’autres ont pensé à comment utiliser la psychologie et les neurosciences pour créer de meilleures expériences et taux de conversion.
En effet, tout comme les neurosciences ont aidé à diagnostiquer des problèmes susceptibles d’entraver une bonne UX, elles peuvent également révéler des solutions générales et des meilleures pratiques à suivre.